Memento - Les EMI

© POUR LA SCIENCE - N° 350 DÉCEMBRE 2006 104 cette dernière semble limitée aux aires sous-corticales et aux aires corticales primaires de bas niveau, non connectée au réseau fronto-pariétal nécessaire à la perception consciente. Et l’on revient à la question qui nous préoccupe ici : l’ima- gerie cérébrale fonctionnelle peut-elle permettre de distin- guer l’état végétatif de l’état de conscience minimale ? Il reste extrêmement difficile de distinguer, en les obser- vant, les patients végétatifs des patients ayant une conscience minimale parce qu’ils sont les uns et les autres incapables de communiquer. Dans ces conditions, l’imagerie fonc- tionnelle peut nous permettre de distinguer objectivement les activations caractéristiques de ces patients, résultant de stimulations externes. Chez des patients en état de conscienceminimale, nous avons utilisé des stimulus audi- tifs complexes, et montré, pour la première fois, qu’un réseau très étendu est activé, contrairement à ce que l’on observe chez les patients végétatifs. N. Schiff a confirmé ces résultats par IRM fonctionnelle chez deux patients en état de conscience minimale, mettant en évidence une activation des aires auditives impliquées dans le traitement du langage grâce à l’utilisation d’histoires personnali- sées. Il a ainsi observé une activation cérébrale spécifique, déclenchée par le récit d’événements autobiographiques racontés par la mère, par exemple. En revanche, une suc- cession de mots dénuée de sens n’active pas ces aires. Ainsi, l’usage croissant de l’imagerie cérébrale fonc- tionnelle nous permettra de décrire de façon plus fiable l’état clinique des patients ayant subi des lésions cérébrales graves et survivant en état végétatif ou en état de conscience minimale. Parce que le diagnostic est plus précis, nous pourrions mieux adapter les traitements à chacun de ces patients – que ce soit pour l’administration d’analgésiques ou l’accès à des programmes de neuro-réhabilitation ; nous devrionsmieux prévoir l’évolution vraisemblable du patient et disposer de tous les éléments pour les éventuelles déci- sions concernant la fin de vie. Aujourd’hui, nous comprenons encoremal comment on passe d’un état végétatif ou de conscience minimale à un état de conscience normal. Très peu d’équipes se sont inté- ressées à la récupération des survivants de coma restés long- temps plongés dans des états de conscience gravement altérés. N. Schiff a récemment rapporté le cas extraordinaire de Terry Wallis, resté en état de conscience minimale pen- dant 19 ans et qui en est sorti il y a quelques semaines: aujour- d’hui, il parle à nouveau. Les examens réalisés par IRM de diffusion ont révélé unemyélinisation renforcée dans le cor- tex postérieur médial, comprenant le precuneus (la myé- line recouvre les axones, c’est-à-dire les longs prolongements neuronaux, et est indispensable à une transmission effi- cace des signaux cérébraux). Le métabolisme du glucose détecté par tomographie par émissionde positons était supé- rieur dans ces zones : la récupération clinique a été sous- tendue par une « repousse » des axones. Presque 20 ans après le début du coma, desmécanismes de réparation d’un traumatisme cérébral grave ont opéré. De telles récupéra- tions sont extrêmement rares, beaucoup plus dans la réa- lité qu’à Hollywood. Pedro Almodóvar avait imaginé un scénario comparable dans son film Parle avec elle . Remyélinisation et repousse neuronale Très peu d’études de neuro-imagerie ont pu être réalisées sur des patients qui avaient récupéré d’un état végétatif. Dans notre centre, sur 60 personnes suivies et ayant subi un examen par tomographie par émission de positons, sept ont récupéré et ont subi un nouvel examen. Nous avons ainsi identifié des aires cérébrales où le métabolisme était notablement réduit durant l’état végétatif, mais où il était redevenu quasi normal après la récupération. C’est le pre- cuneus qui subit les changementsmétaboliques les plusmar- qués ainsi qu’un vaste réseau d’aires associatives du cortex fronto-pariétal. Les différents résultats ont confirmé l’im- portance des structures postérieures médiales dans la conscience de soi et lors de nos interactions avec l’environ- nement. Le cortex pariétal médial (c’est-à-dire le precuneus) semble être la région qui distingue le mieux un patient en état végétatif et un patient en état de conscience minimale. Il est intéressant de noter que cette région est parmi les plus actives durant l’état d’éveil conscient et parmi les moins actives durant les états de conscience altérés, tels le sommeil, le coma artificiel, déclenché par des substances pharmacologiques, la démence ou une amnésie post- anoxique (due à un manque d’oxygénation du cerveau). Nous pensons que cette aire associative postérieuremédiale, hautement connectée, ferait partie du réseau de la conscience, chez l’homme. Les études qu’a faites N. Schiff sur T. Wallis révèlent les mécanismes cellulaires impliqués 5. L’état végétatif semble être caractérisé par un dysfonctionne- ment métabolique d’un large réseau cortical qui comprend les aires associatives préfrontalesmédiales et latérales ainsi quemultimodales pariétales. Cela peut résulter soit d’une lésion corticale directe ou d’une déconnexion entre le cortex frontal et pariétal, ou entre ce cortex et le thalamus (les flèches bleues) . Des études d’imagerie fonctionnelle récentes sur des patients ayant une crise d’épilepsie partielle complexe se traduisant par des actions « automatiques » non volontaires, ont montré une diminution du flux sanguin cérébral dans ce réseau fronto-pariétal (en vert, données SPECT , tomographie à émission mono- photonique) . C’est également le cas lors d’une absence liée à une crise d’épilepsie (en bleu, IRM fonctionnelle) et le cas du somnambu- lisme (en jaune, données SPECT ) . État végétatif Crise d’épilepsie partielle complexe Somnambulisme Absence liée à une crise d’épilepsie Steven Laureys, Trends in Cognitive Sciences

RkJQdWJsaXNoZXIy MTc5ODk=